7 avril 2006
A moins d’être « du milieu » et
de préférence lusophone, vous n’aurez probablement pas su qu’au début de
ce mois de mars 2006 s’est tenu au Brésil un événement que l’on peut
qualifier, somme toute, d’historique : la IIe Conférence internationale
de la FAO sur la réforme agraire et le développement rural (CIRADR).
Historique à plusieurs titres. La précédente conférence (la première)
remontait à 1979, soit il y a 27 ans. Elle s’était tenue à Rome. C’était
du temps d’avant l’avènement sur la scène mondiale de ce qu’on appelle
aujourd’hui la « mondialisation néolibérale ». Plinio Arruda Sampaio [1], figure de référence sur les questions agraires au Brésil, le résume ainsi : « J’ai
travaillé pendant dix ans à la FAO, et à l’époque, on avait
régulièrement des réunions internationales pour évaluer les avancées de
la réforme agraire dans le monde. Ces réunions faisaient l’objet de
rapports importants. Avec la victoire du néolibéralisme de Margaret
Thatcher et de Ronald Reagan, les pays développés ont fait pression sur
la FAO pour qu’elle arrête de faire cela, et elle a cédé à ces
pressions. C’est donc de bon augure que le débat revienne sur la table
aujourd’hui... »[2].
Après 27 ans de silence : où en est-on ?
La FAO est l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization). Comme bon nombre d’autres organisations des Nations unies, elle a perdu bien de son prestige et de son influence depuis 1979, d’autres organisations ayant fait leur apparition, telle que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fille du GATT, créée en 1995, en dehors des Nations unies et qui pourtant régule les échanges commerciaux mondiaux y compris en matière d’alimentation et d’agriculture. On comprend donc que l’un des chevaux de bataille de mouvements sociaux tels que La Via Campesina soit, légitimement, le transfert d’un certain nombre de compétences de l’OMC vers la FAO dans ce domaine, ou du moins une place plus importante dans les questions y ayant trait.
En 1979 donc - soit 21 ans avant le Sommet du Millénaire de l’ONU - la FAO avait alerté le monde sur le drame de la faim et de la pauvreté en milieu rural, et insisté - déjà - sur la réforme agraire comme solution pour éradiquer ces deux fléaux au niveau mondial. La conférence d’alors avait réuni des représentants de 145 pays, 4 chefs d’Etat et 89 ministres, et adopté une déclaration de principe et un programme d’actions connus sous le nom de « Charte des paysans » [3]. L’un des principes de base de cette charte affirmait : « L’objectif principal de la réforme agraire et du développement rural doit être l’amélioration de la qualité de vie de tous, notamment celle des pauvres qui vivent en zones rurales. Le développement économique en soi ne suffit pas, car il doit se baser sur des principes de justice et se faire avec la participation des communautés ».
Vingt-sept ans après, force est de constater que ces belles intentions ne sont pas sorties du papier, et que la situation des populations rurales ne s’est pas améliorée. Pire encore : elle s’est aggravée. Et pas que pour elles : l’exode rural, la surpopulation dans les mégalopoles du Sud et la violence urbaine qu’elle engendre, la disparition de la biodiversité, la dégradation des sols, la pollution de l’air, de l’eau... sont autant de questions étroitement liées à la question de l’utilisation et de la répartition de la terre et des ressources de manière générale, qui - curieusement ? - ne mobilisent pas les foules diplomatiques ni médiatiques.
La IIe CIRADR, qui s’est tenue à Porto Alegre du 7 au 10 mars derniers, a accueilli des représentants de 96 pays, quelques ministres - dont Miguel Rossetto, le ministre brésilien du Développement agraire (MDA) - mais aucun chef d’Etat. Même le président brésilien, hôte et pourtant instigateur de la rencontre, se trouvait à Londres ces jours-là, alors que sa présence aux débats avait initialement été annoncée.
Pourtant, comme le souligne Sampaio, par la tenue de la CIRADR, « la FAO [et donc ses pays membres] reconnaît que le chemin pris dans les années 80 et 90 sous la pression des pays qui la financent était une voie sans issue, et reprend aujourd’hui un travail de promotion de la réforme agraire » [4]. Que le Brésil décide d’organiser et d’accueillir cette rencontre est un signe positif ; que le président Lula n’y participe pas souligne toutes les contradictions de son gouvernement, qui dispose de deux ministères distincts pour les questions agraires, l’un s’occupant de l’agriculture familiale et du développement agricole (le MDA), l’autre au service de l’agrobusiness, puissant politiquement et économiquement... A l’image du débat qui traverse le monde, finalement.
Synergie entre société civile et gouvernements
Une autre caractéristique historique de la rencontre aura été l’apport et la participation de la société civile internationale (mouvements sociaux, ONG, chercheurs, experts) aux débats. Pour la première fois, la FAO a ouvert les portes de ses plénières et de ses groupes de travail à des délégués non gouvernementaux. « Les organisations de la société civile et les mouvements sociaux ont joué un rôle fondamental dans la Conférence en réclamant de nouvelles modalités de concertation avec les gouvernements », peut-on lire sur le site web de la conférence [5]. C’est aussi ce que reconnaît Flavio Pérri, le représentant permanent du Brésil à la FAO : « La société civile a ses propres impressions du quotidien, de son processus social. Souvent les gouvernements, et c’est naturel dans n’importe quel pays, peuvent ne pas avoir toutes ces perceptions. (...) C’est de cette synergie que peuvent émerger des actions plus lucides. La FAO, avec cette nouvelle ouverture, et en cela il y a eu un mouvement significatif au cours de cette conférence, est en train de s’ouvrir pour permettre cette collaboration avec la société civile. » [6] La déclaration finale, disponible en anglais sur le site, reflète bien cette collaboration et cette synergie. Bien sûr, tout comme en 1979, il ne s’agit que de principes, qui n’ont absolument pas valeur de loi, mais qui serviront de recommandations lors des prochaines réunions des Nations unies. C’est un début. Une renaissance, pourrait-on dire.
Notes :
Après 27 ans de silence : où en est-on ?
La FAO est l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization). Comme bon nombre d’autres organisations des Nations unies, elle a perdu bien de son prestige et de son influence depuis 1979, d’autres organisations ayant fait leur apparition, telle que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), fille du GATT, créée en 1995, en dehors des Nations unies et qui pourtant régule les échanges commerciaux mondiaux y compris en matière d’alimentation et d’agriculture. On comprend donc que l’un des chevaux de bataille de mouvements sociaux tels que La Via Campesina soit, légitimement, le transfert d’un certain nombre de compétences de l’OMC vers la FAO dans ce domaine, ou du moins une place plus importante dans les questions y ayant trait.
En 1979 donc - soit 21 ans avant le Sommet du Millénaire de l’ONU - la FAO avait alerté le monde sur le drame de la faim et de la pauvreté en milieu rural, et insisté - déjà - sur la réforme agraire comme solution pour éradiquer ces deux fléaux au niveau mondial. La conférence d’alors avait réuni des représentants de 145 pays, 4 chefs d’Etat et 89 ministres, et adopté une déclaration de principe et un programme d’actions connus sous le nom de « Charte des paysans » [3]. L’un des principes de base de cette charte affirmait : « L’objectif principal de la réforme agraire et du développement rural doit être l’amélioration de la qualité de vie de tous, notamment celle des pauvres qui vivent en zones rurales. Le développement économique en soi ne suffit pas, car il doit se baser sur des principes de justice et se faire avec la participation des communautés ».
Vingt-sept ans après, force est de constater que ces belles intentions ne sont pas sorties du papier, et que la situation des populations rurales ne s’est pas améliorée. Pire encore : elle s’est aggravée. Et pas que pour elles : l’exode rural, la surpopulation dans les mégalopoles du Sud et la violence urbaine qu’elle engendre, la disparition de la biodiversité, la dégradation des sols, la pollution de l’air, de l’eau... sont autant de questions étroitement liées à la question de l’utilisation et de la répartition de la terre et des ressources de manière générale, qui - curieusement ? - ne mobilisent pas les foules diplomatiques ni médiatiques.
La IIe CIRADR, qui s’est tenue à Porto Alegre du 7 au 10 mars derniers, a accueilli des représentants de 96 pays, quelques ministres - dont Miguel Rossetto, le ministre brésilien du Développement agraire (MDA) - mais aucun chef d’Etat. Même le président brésilien, hôte et pourtant instigateur de la rencontre, se trouvait à Londres ces jours-là, alors que sa présence aux débats avait initialement été annoncée.
Pourtant, comme le souligne Sampaio, par la tenue de la CIRADR, « la FAO [et donc ses pays membres] reconnaît que le chemin pris dans les années 80 et 90 sous la pression des pays qui la financent était une voie sans issue, et reprend aujourd’hui un travail de promotion de la réforme agraire » [4]. Que le Brésil décide d’organiser et d’accueillir cette rencontre est un signe positif ; que le président Lula n’y participe pas souligne toutes les contradictions de son gouvernement, qui dispose de deux ministères distincts pour les questions agraires, l’un s’occupant de l’agriculture familiale et du développement agricole (le MDA), l’autre au service de l’agrobusiness, puissant politiquement et économiquement... A l’image du débat qui traverse le monde, finalement.
Synergie entre société civile et gouvernements
Une autre caractéristique historique de la rencontre aura été l’apport et la participation de la société civile internationale (mouvements sociaux, ONG, chercheurs, experts) aux débats. Pour la première fois, la FAO a ouvert les portes de ses plénières et de ses groupes de travail à des délégués non gouvernementaux. « Les organisations de la société civile et les mouvements sociaux ont joué un rôle fondamental dans la Conférence en réclamant de nouvelles modalités de concertation avec les gouvernements », peut-on lire sur le site web de la conférence [5]. C’est aussi ce que reconnaît Flavio Pérri, le représentant permanent du Brésil à la FAO : « La société civile a ses propres impressions du quotidien, de son processus social. Souvent les gouvernements, et c’est naturel dans n’importe quel pays, peuvent ne pas avoir toutes ces perceptions. (...) C’est de cette synergie que peuvent émerger des actions plus lucides. La FAO, avec cette nouvelle ouverture, et en cela il y a eu un mouvement significatif au cours de cette conférence, est en train de s’ouvrir pour permettre cette collaboration avec la société civile. » [6] La déclaration finale, disponible en anglais sur le site, reflète bien cette collaboration et cette synergie. Bien sûr, tout comme en 1979, il ne s’agit que de principes, qui n’ont absolument pas valeur de loi, mais qui serviront de recommandations lors des prochaines réunions des Nations unies. C’est un début. Une renaissance, pourrait-on dire.
Renforcement de la coopération intergouvernementale
La rencontre aura permis en outre la signature de 15 accords de coopération internationale, comme par exemple un accord entre la FAO et la Communauté des pays de langue portugaise pour un programme de formation en gestion de la terre, ou encore l’accord signé entre le gouvernement brésilien et les gouvernements du Paraguay, du Bénin et la FAO, pour stimuler le développement rural, principalement par le biais d’activités de recherches et de formation. Autre initiative notoire : la constitution d’un réseau entre organes gouvernementaux liés aux questions agraires de 14 pays latino-américains, qui aura à traiter des questions telles que les politiques d’accès à la terre, la législation foncière, les modèles d’installation, les crédits. « Tant le capital que les mouvements sociaux sont en plein processus d’intégration, alors que les gouvernements ne sont qu’aux balbutiements de ce processus », a déclaré Rolf Hackbart, président de l’Institut national brésilien de colonisation et de réforme agraire (INCRA), pour justifier de l’importance de la création de ce réseau.
« Terre, territoire et dignité »
Dans le même temps, la « société civile » tenait sa conférence parallèle : le forum « Terre, territoire et dignité », du 6 au 9 mars, organisé par le Comité international de planification des organisations sociales pour la souveraineté alimentaire, le CIP, plate-forme de consultation et de dialogue entre la FAO et la société civile. Quatre jours durant, 400 représentants d’organisations paysannes, indigènes, de pêcheurs, d’éleveurs, venus de 67 pays, ont débattu et travaillé ensemble pour élaborer entre autres une analyse globale des processus d’occupation des terres partout dans le monde, et dont les conclusions et recommandations seraient présentées de manière officielle à la Conférence de la FAO le 10 mars. Selon Peter Rossett, chercheur du Centre d’études pour un changement dans la campagne mexicaine (CECCAM), « l’absence d’une évaluation globale par plusieurs gouvernements qui ont mis en place une réforme agraire dans leurs pays, a engendré souvent des conflits entre populations rurales. C’est le cas d’une grande partie des peuples indigènes, expulsés en fonction de l’installation de paysans, ou de pêcheurs expulsés par des projets touristiques ou des projets de développements côtiers. Ce fut le cas de l’Iran, où la réforme agraire des années 60 a installé des agriculteurs sur des territoires historiquement utilisés par les tribus nomades. Ce ne sont pas des éléments contre la réforme agraire, mais les gouvernements doivent prendre en compte tous les secteurs ruraux et leurs multiples droits dans ces processus » [7].
Malgré l’importance ce cette rencontre, les médias (les grands) étaient absents et n’ont donc pas couvert les débats et les enjeux qui se jouaient début mars à Porto Alegre. Le journaliste brésilien Marco Aurélio Weissheimer est incisif : « La communauté internationale tient des rencontres et des conférences pour discuter du problème [la pauvreté et la faim], elle produit des déclarations, se fixe des objectifs, qui dans la grande majorité des cas ne sont pas atteints. Et pourquoi les gouvernements n’atteignent pas ces objectifs ? Manque de moyens ? Absence de volonté politique ? Et pourquoi une telle passivité face à la non réalisation des objectifs ? Peut-être devons nous nous en référer à une hypothèse plus sinistre : les objectifs ne sont pas atteints parce que, de fait, les maîtres du monde se fichent bien d’en finir avec la faim. (...) Ce silence médiatique révèle, de manière exemplaire, l’intime relation existante entre le contrôle des ressources naturelles et le contrôle de l’information. Ignorer cela signifie prendre un raccourci pour, peut-être d’ici 20 ans, assister au même phénomène lors d’une possible troisième conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural. [8] »
Difficile de ne pas abonder dans ce sens... mais essayons de ne pas nous laisser gagner par ce pessimisme, et espérons que le dialogue et la synergie nouvelle entre gouvernements et sociétés civiles se poursuivront dans les mois et les années à venir. D’après l’évaluation de La Via Campesina, des avancées notoires sont d’ores et déjà à mettre au crédit de la déclaration finale de la Conférence, où pour la première fois dans ce type de rencontre, les politiques néolibérales mises en avant par la Banque mondiale concernant la réforme agraire ne sont pas reconfirmées, et où des espaces semblent dorénavant ouverts pour des approches alternatives.
Espérons que bientôt le droit à la vie reprendra le dessus sur le droit au marché et au libre-échange... Ou n’est-ce que pure utopie ?
La IIe CIRADR était dédiée à la mémoire de Josué de Castro [9]. Peut-être parce que c’est l’utopie aussi qui fait avancer le monde...
Par Isabelle Dos Reis
Source : INFO terra n°66 (mars 2006), mensuel édité par Frères des Hommes - http://www.fdh.org
Notes :
[1] Il fut responsable du programme de réforme agraire sous le gouvernement progressiste de João Goulard en 1963 - avant le coup d’Etat militaire -, et l’instigateur du II Plan national de réforme agraire du gouvernement Lula en 2003. Entre les deux, il a aussi été rapporteur des Nations unies sur la question de la réforme agraire.
[2] Correio do Brasil, 5 mars 2006, « Brasil não faz reforma agraria, denuncia Arruda Sampaio »
[3] La charte des paysans
[4] Correio do Brasil, idem.
[5] http://www.icarrd.org/fr/index.html
[6] Agencia Carta Maior, entretien avec Flavio Perri, 13/03/06, "Sentido humano da reforma agraria foi reforçado, diz embaixador do Brasil na FAO"
[7] Source Agencia Carta Maior, « Forum paralelo articulou agricultores, pescadores e indigenas »
[8] Marco Aurélio Weissheimer, « El ruidoso silencio de los medios »
[9] En 1964, alors âgé de cinquante-six ans, Josué de Castro était un diplomate brésilien en poste aux Nations Unies à Genève, lorsqu’il fut privé de ses droits politiques au Brésil. De toutes ses activités, que ce soit l’enseignement, le rôle de président indépendant du Conseil de la FAO, le parlement brésilien (en tant que législateur de l’ancien Parti des travailleurs brésiliens), les auditoires ou les moments d’isolement comme écrivain de renom, Josué de Castro est mieux connu pour avoir choisi de consacrer ses énergies à un sujet que lui-même jugeait délicat et périlleux : la faim.
Lire la suite >>>La rencontre aura permis en outre la signature de 15 accords de coopération internationale, comme par exemple un accord entre la FAO et la Communauté des pays de langue portugaise pour un programme de formation en gestion de la terre, ou encore l’accord signé entre le gouvernement brésilien et les gouvernements du Paraguay, du Bénin et la FAO, pour stimuler le développement rural, principalement par le biais d’activités de recherches et de formation. Autre initiative notoire : la constitution d’un réseau entre organes gouvernementaux liés aux questions agraires de 14 pays latino-américains, qui aura à traiter des questions telles que les politiques d’accès à la terre, la législation foncière, les modèles d’installation, les crédits. « Tant le capital que les mouvements sociaux sont en plein processus d’intégration, alors que les gouvernements ne sont qu’aux balbutiements de ce processus », a déclaré Rolf Hackbart, président de l’Institut national brésilien de colonisation et de réforme agraire (INCRA), pour justifier de l’importance de la création de ce réseau.
« Terre, territoire et dignité »
Dans le même temps, la « société civile » tenait sa conférence parallèle : le forum « Terre, territoire et dignité », du 6 au 9 mars, organisé par le Comité international de planification des organisations sociales pour la souveraineté alimentaire, le CIP, plate-forme de consultation et de dialogue entre la FAO et la société civile. Quatre jours durant, 400 représentants d’organisations paysannes, indigènes, de pêcheurs, d’éleveurs, venus de 67 pays, ont débattu et travaillé ensemble pour élaborer entre autres une analyse globale des processus d’occupation des terres partout dans le monde, et dont les conclusions et recommandations seraient présentées de manière officielle à la Conférence de la FAO le 10 mars. Selon Peter Rossett, chercheur du Centre d’études pour un changement dans la campagne mexicaine (CECCAM), « l’absence d’une évaluation globale par plusieurs gouvernements qui ont mis en place une réforme agraire dans leurs pays, a engendré souvent des conflits entre populations rurales. C’est le cas d’une grande partie des peuples indigènes, expulsés en fonction de l’installation de paysans, ou de pêcheurs expulsés par des projets touristiques ou des projets de développements côtiers. Ce fut le cas de l’Iran, où la réforme agraire des années 60 a installé des agriculteurs sur des territoires historiquement utilisés par les tribus nomades. Ce ne sont pas des éléments contre la réforme agraire, mais les gouvernements doivent prendre en compte tous les secteurs ruraux et leurs multiples droits dans ces processus » [7].
Malgré l’importance ce cette rencontre, les médias (les grands) étaient absents et n’ont donc pas couvert les débats et les enjeux qui se jouaient début mars à Porto Alegre. Le journaliste brésilien Marco Aurélio Weissheimer est incisif : « La communauté internationale tient des rencontres et des conférences pour discuter du problème [la pauvreté et la faim], elle produit des déclarations, se fixe des objectifs, qui dans la grande majorité des cas ne sont pas atteints. Et pourquoi les gouvernements n’atteignent pas ces objectifs ? Manque de moyens ? Absence de volonté politique ? Et pourquoi une telle passivité face à la non réalisation des objectifs ? Peut-être devons nous nous en référer à une hypothèse plus sinistre : les objectifs ne sont pas atteints parce que, de fait, les maîtres du monde se fichent bien d’en finir avec la faim. (...) Ce silence médiatique révèle, de manière exemplaire, l’intime relation existante entre le contrôle des ressources naturelles et le contrôle de l’information. Ignorer cela signifie prendre un raccourci pour, peut-être d’ici 20 ans, assister au même phénomène lors d’une possible troisième conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural. [8] »
Difficile de ne pas abonder dans ce sens... mais essayons de ne pas nous laisser gagner par ce pessimisme, et espérons que le dialogue et la synergie nouvelle entre gouvernements et sociétés civiles se poursuivront dans les mois et les années à venir. D’après l’évaluation de La Via Campesina, des avancées notoires sont d’ores et déjà à mettre au crédit de la déclaration finale de la Conférence, où pour la première fois dans ce type de rencontre, les politiques néolibérales mises en avant par la Banque mondiale concernant la réforme agraire ne sont pas reconfirmées, et où des espaces semblent dorénavant ouverts pour des approches alternatives.
Espérons que bientôt le droit à la vie reprendra le dessus sur le droit au marché et au libre-échange... Ou n’est-ce que pure utopie ?
La IIe CIRADR était dédiée à la mémoire de Josué de Castro [9]. Peut-être parce que c’est l’utopie aussi qui fait avancer le monde...
Par Isabelle Dos Reis
Source : INFO terra n°66 (mars 2006), mensuel édité par Frères des Hommes - http://www.fdh.org
Notes :
[1] Il fut responsable du programme de réforme agraire sous le gouvernement progressiste de João Goulard en 1963 - avant le coup d’Etat militaire -, et l’instigateur du II Plan national de réforme agraire du gouvernement Lula en 2003. Entre les deux, il a aussi été rapporteur des Nations unies sur la question de la réforme agraire.
[2] Correio do Brasil, 5 mars 2006, « Brasil não faz reforma agraria, denuncia Arruda Sampaio »
[3] La charte des paysans
[4] Correio do Brasil, idem.
[5] http://www.icarrd.org/fr/index.html
[6] Agencia Carta Maior, entretien avec Flavio Perri, 13/03/06, "Sentido humano da reforma agraria foi reforçado, diz embaixador do Brasil na FAO"
[7] Source Agencia Carta Maior, « Forum paralelo articulou agricultores, pescadores e indigenas »
[8] Marco Aurélio Weissheimer, « El ruidoso silencio de los medios »
[9] En 1964, alors âgé de cinquante-six ans, Josué de Castro était un diplomate brésilien en poste aux Nations Unies à Genève, lorsqu’il fut privé de ses droits politiques au Brésil. De toutes ses activités, que ce soit l’enseignement, le rôle de président indépendant du Conseil de la FAO, le parlement brésilien (en tant que législateur de l’ancien Parti des travailleurs brésiliens), les auditoires ou les moments d’isolement comme écrivain de renom, Josué de Castro est mieux connu pour avoir choisi de consacrer ses énergies à un sujet que lui-même jugeait délicat et périlleux : la faim.
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