Lorsque, dans quelques années, un bilan définitif des décès causés, directement ou indirectement, par cette crise économico-sanitaire sera dressé, on découvrira avec stupéfaction que l'Allemagne a fait davantage de victimes que le virus, du moins dans le bassin méditerranéen. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
Premier point : le pacte européen de stabilité et de croissance (PSC). C'est la corde autour du cou avec laquelle nous nous pendons depuis qu'il a été signé en 1997. Le PSC impose des règles strictes en matière de déficit budgétaire (inférieur à 3 % sur une base annuelle) et de dette publique qui doit être ramenée à 60 % (nous voyageons plus du double). Ces règles étaient faites sur mesure pour des pays comme l'Allemagne, et auraient obligé d'autres pays, notamment ceux du Sud, à se serrer la ceinture pendant des années et à brader ce qui était bon pour l'État pour faire de l'argent et réduire la dette.
Le PSC n'a rien fait d'autre que de préparer le terrain pour la future fin de l'Union européenne, qui a commencé officiellement hier, le 25 mars 2020.
En 23 ans de fonctionnement, les économies du Sud se sont détériorées, leurs dettes ont augmenté et le bien-être a diminué. Pour s'en sortir, dans le modèle capitaliste rhénan, il faut s'endetter de plus en plus chaque année : les obligations émises (CCT, bons du Trésor ou autres) par les gouvernements ont pour seule garantie les États qui les émettent, individuellement. L'Europe, grâce aux résistances allemandes, néerlandaises et autres du Nord, s'est toujours prononcée contre toute mutualisation de la dette. Le résultat est le débat quotidien sur le spread, c'est-à-dire le différentiel entre nos obligations et celles de l'Allemagne, un différentiel qui exprime le degré de méfiance envers des pays comme le nôtre. Plus l'écart est élevé, plus nous devons payer des intérêts élevés aux souscripteurs de nos obligations.
Mais si le PSC est la corde du pendu, l'Euro est le savon qui fait courir la corde plus vite chaque jour. L'Euro, dans l'esprit des éclairés, était censé être le début d'un processus de convergence économique, politique et sociale européenne. Finalement, seul le premier pilier, l'économique, est resté, photographiant les rapports de force au moment de sa création. La valeur qui a été établie, et son contrôle par la BCE à Francfort, était en fait ce que les Allemands pouvaient accepter pour abandonner le mark. Nous nous sommes donc retrouvés avec une monnaie forte qui répondait parfaitement aux besoins de l'Allemagne et des pays associés, mais qui était trop chère pour nous, les Méditerranéens. Dans la pratique, nous nous sommes retrouvés privés de l'instrument classique, en cas de crise, à savoir la dévaluation compétitive. Depuis le jour de la naissance de l'euro, nos entreprises exportatrices ont dû se battre sur un marché européen où les pays du Nord étaient les maîtres, si bien qu'au lieu de gagner de l'argent, nous avons commencé à en perdre.
Le principe de base pour qu'une monnaie unique fonctionne entre un groupe de pays est que le niveau des forces productives soit assez proche, avec peu de différences de productivité. Sans cela, la rigidité imposée par la monnaie unique conduit nécessairement à exacerber les déséquilibres initiaux et à les multiplier, comme cela a été le cas dans les pays du Sud.
Revenons au Covid-19 (je vous rappelle qu'il convient de se souvenir du nombre, car il sera suivi dans les années à venir par 20, 21, etc.)
La crise économique générée par le virus a également forcé les réticents allemands à accepter une suspension du PSC, permettant ainsi d'augmenter les dépenses (en déficit) pour lutter sur le front de la santé essentiellement. Il s'agit de nouvelles dettes, qui doivent être remboursées.
Conscients de ce problème, un certain nombre de pays, nous les pays méditerranéens, plus la France, l'Irlande et d'autres, tentent depuis des semaines de faire pression sur Berlin et Bruxelles pour avoir à leur disposition non seulement de plus de fonds, mais surtout de règles différentes.
Le Nord teutonique a répondu que l'argent pouvait être trouvé dans le MES (mécanisme européen de stabilité, également connu sous le nom de Fond sauve-État). Le problème avec le MES est qu'il est à nouveau conditionné aux mêmes critères que le PSC, ce qui signifie que cet argent doit être comptabilisé dans la dette de l'État, qui doit être réduite à 60%. Dans la pratique, cela signifierait qu'une fois la période d'enfouissement actuelle terminée, les États qui utilisent ces fonds devraient recommencer avec les mêmes politiques qu'auparavant, c'est-à-dire en réduisant leurs budgets pour la santé, l'éducation et tout le reste, au moment même où, une fois le confinement actuel terminé, la véritable crise économique éclatera, étant donné que les industries, italiennes comme beaucoup d'autres en Europe du Sud, ne pourront pas recréer du travail immédiatement et que de nombreux emplois précaires et de nombreuses petites entreprises devront déclarer faillite.
La deuxième voie que Conte, Macron et d'autres ont essayé de suivre est celle des Corona-bond, c'est-à-dire de se financer sur le marché mondial avec des titres garantis par l'Union européenne dans son ensemble, mutualisant ainsi les futures dettes italiennes, espagnoles, françaises, ... avec celles de pays comme l'Allemagne et la Hollande. Ce serait un pas en avant vers quelque chose de commun, quelque chose d'européen. Ne pas le faire signifie laisser les pays les plus endettés jouer seuls sur le marché financier, payant ainsi encore plus cher ce qui est nécessaire pour essayer (je dis bien essayer) de sortir de la crise. Ce serait également le début d'une éventuelle discussion sérieuse sur la monnaie unique, le PSC et ce qui régit notre vie commune, sociale et politique (droits des travailleurs, etc.). Ne pas le faire signifie, au contraire, se ranger du côté des populistes et des nationalistes de toutes sortes, qui auraient beaucoup de munitions à leur disposition pour montrer que l'Union européenne est inutile.
La décision d'hier soir était claire : l'Allemagne (suivie par la Hollande et l’Autriche) a dit non, pas question. C'est chacun pour soi. Comme l'a dit le ministre français de l'économie, Bruno Le Maire, il y a quelques jours, "si l'Europe n'aide pas l'Italie, l'Europe est finie").
C'est pourquoi la véritable crise qui nous attend n'est pas celle des 7 000 morts, mais une bien plus grave récession économique estimée à environ 18 mois de durée, avec l'annulation de millions d'emplois. L'État n'aura pas l'argent nécessaire pour relancer le système économique et la désintégration sociale augmentera donc encore plus.
Attendons-nous à voir l'armée dans les rues d'ici la fin de l'année.