Armés de GPS par une ONG, Pygmées et Bantous de la deuxième forêt du monde dressent la carte de leur patrimoine naturel. Ils espèrent ainsi empêcher les compagnies de piller leurs ressources et de réchauffer un peu plus la planète.
Enfoncés jusqu'aux genoux dans les eaux ambrées d'une rivière de la forêt équatoriale congolaise, trois hommes en tongs scrutent l'écran d'un GPS.
"Vous avez les coordonnées?
-Oui, altitude, 347 m. Latitude: S0078711. Longitude..."
Ce matin-là, au fin fond de la République démocratique du Congo, des Pygmées et des Bantous sont occupés à localiser le gué de la rivière Bokongo, une source d'eau douce et de poissons indispensable aux 1 800 habitants des environs. En cartographiant les lieux de chasse, les terres agricoles et les sous-bois peuplés par les esprits de la forêt, les villageois de Manga espèrent protéger "leur" jungle de la convoitise des compagnies forestières. Cette jungle autour de laquelle s'organise leur existence depuis toujours et qui contribue, à sa mesure, à l'équilibre écologique de la planète.
Alors qu'ils doivent habituellement parcourir 200 kilomètres de piste pour atteindre l'antenne de téléphone portable ou la prise électrique la plus proche, les voilà désormais dotés d'une technologie dernier cri, connectée à une constellation de satellites. Eux qui ne savent pour la plupart ni lire ni écrire ont très vite su manier les GPS fournis par une ONG locale, Réseau ressources naturelles (RRN). Mais il a fallu de longues palabres entre les différents chefs de clans pour désigner les huit "cartographes communautaires" chargés de tracer cette incongrue carte au trésor. A Manga, village de l'ouest du pays, la route a beau avoir été rénovée l'an dernier, la pauvreté progresse. Les chasseurs doivent marcher de plus en plus loin à la recherche des porcs-épics, des singes et des oiseaux utilisés dans la cuisine locale. Le poisson se fait rare. Même les chenilles dodues de la forêt, principale source de protéines, disparaissent.
Des villageois aux ONG internationales, en passant par le gouvernement congolais, tout le monde s'accorde pour désigner une même coupable : la déforestation, qui est aussi la première cause des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Les habitants de Manga savent que l'agriculture sur brûlis et leur utilisation intensive du charbon de bois appauvrissent leur forêt. Mais ils accusent également la compagnie forestière libano-congolaise ITB. Les deux concessions que possède l'entreprise dans la province occupent près de 300 000 hectares -l'équivalent du département français du Rhône. "Ça a commencé quand ils se sont mis à couper les arbres dans lesquels vivent les chenilles", raconte Bosoki Bekalola, l'un des trois éclaireurs en GPS.
Avec l'appui de militants locaux et le soutien financier d'ONG internationales comme Rainforest Foundation, plus de 160 villages de la République démocratique du Congo se sont lancés dans la cartographie de leur territoire forestier traditionnel. Des projets similaires se développent dans les pays voisins du bassin du Congo, le deuxième ensemble forestier au monde après l'Amazonie. L'objectif est de permettre aux habitants de défendre leur espace de vie face aux industriels, et d'obtenir leur part dans les financements que les pays développés ont accepté d'allouer à la protection de la forêt équatoriale, lors du sommet de Copenhague de décembre dernier: 2,55 milliards d'euros d'ici 2012.
Comment cette forêt si vaste pourrait-elle disparaître? songe Bosoki, en s'avançant sous la canopée pour poursuivre son relevé. Le chant des insectes, des grenouilles et des oiseaux étouffe le bruit de ses pas. Le mur végétal qui borde les étroits sentiers ouverts par ses ancêtres effleure ses épaules. Bosoki et ses compagnons suspendent le récepteur GPS autour de leur cou et jouent de la machette dans la végétation. Soudain, le trio s'arrête: autour du cimetière de leurs ancêtres, de nombreux troncs abandonnés jonchent le sol. Qui a autorisé les bûcherons à venir jusque dans ce lieu sacré? Un peu plus loin, le sentier fait place à une large piste bordée de vastes champs de manioc. "La compagnie d'exploitation ITB est passée ici, explique Dieudonné Nzabi, le responsable local du RRN. Les gens ont profité de l'occasion pour créer des champs. Et la forêt est partie."
A quelques heures de piste de Manga, autour du village d'Ifuto, le bruit des tronçonneuses résonne au fond de la forêt vierge. Des bûcherons sont à l'oeuvre. ITB n'a pourtant plus d'autorisation en raison de ses violations répétées du code forestier. Il n'empêche. A Bekwese, le village le plus proche du lieu actuel d'exploitation, l'abattage a commencé depuis septembre dernier, assure l'un des habitants, Tonton Mpela. Pire, la compagnie s'aventurerait hors des zones prévues pour l'exploitation forestière et achèterait chez les habitants des arbres sur pied à 4 000 francs congolais (4 €) par tige. Si l'entreprise ne tient pas ses engagements envers les villageois -elle a promis emplois et aides sociales- les habitants sont prêts à "se révolter contre ITB", menace Tonton Mpela.
Au siège de la firme, à Kinshasa, la capitale, on temporise. L'un des cadres affirme que ces accusations d'exploitation illégale sont sans fondement, que la compagnie se contente "d'évacuer du bois coupé avant l'interdiction officielle" et que les accords signés sur les engagements sociaux ont dû être mal compris. C'est aussi l'opinion de Gabriel Mola, le président de la Fédération des industriels du bois. "Les populations attendent beaucoup, elles vivent dans une situation de grande misère. Mais une seule société ne peut pas en un temps relativement court résoudre tous les problèmes de nos populations!"
La manne de l'aide internationale fait rêver
Du côté du gouvernement, le sujet met mal à l'aise, et pour cause: 16 titres d'exploitation forestière invalidés par une commission spécialisée sont en cours de réexamen, en raison des investissements consentis par les entreprises concernées. "Dans un pays où l'emploi est très rare, vous ne pouvez pas du jour au lendemain décider d'arrêter le secteur forestier qui représente 30 000 à 40 000 agents", fait valoir José Endundo, le ministre de l'Environnement. Les pouvoirs publics annoncent une surveillance high-tech de l'exploitation du bois, un cahier des charges modèle fixant les relations entre les compagnies forestières et les communautés locales, des opérations de reboisement... A condition, bien sûr, que les pays riches mettent la main au portefeuille. Le gouvernement congolais a d'ailleurs signé avec enthousiasme l'accord de Copenhague. "Ceux qui polluent doivent réduire, mais ceux qui comme nous ont une partie de la solution doivent être soutenus", insiste José Endundo. A Manga aussi, la manne de l'aide environnementale internationale fait rêver. Ces derniers mois, les radios locales ne parlaient plus que d'environnement et de climat. A l'image des pays du Nord.
lunedì 14 giugno 2010
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