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Dernière mise à jour : 30 avril 2009
Le miracle économique chinois s’est davantage appuyé sur un développement industriel et urbain que sur l’agriculture. Les zones rurales n’ont que peu contribué à la croissance, si ce n’est par la fourniture de main d’œuvre et de terrains. La précarité des droits des paysans sur le foncier agricole a, d’une part, permis l’expropriation de ces terres pour d’autres usages et, d’autre part, contrarié le développement agricole. Du fait de cette précarité, les paysans ne pouvaient, en effet, ni regrouper leurs exploitations, ni les mettre en gage d’investissements qu’ils auraient réalisés sur leur exploitation. La sécurisation des droits des paysans sur le foncier agricole est donc une question récurrente en Chine, d’un point de vue social, mais aussi économique. Le 3ème Plénum du comité du 17ème Congrès du Parti communiste a maintenu le régime actuel, en réaffirmant les possibilités d’usage et de cession de la part des paysans, mais sans renforcer leurs droits. Ce Plénum a également posé l’objectif d’une « concentration foncière à un niveau convenable », dans le but d’accélérer le développement agricole. Cet objectif pose plusieurs questions : outre la fixation de ce « niveau raisonnable » et les difficultés de son application, celle du risque social de cette concentration, dans un contexte d’un exode rural déjà fort et de ralentissement de la croissance ? Par ailleurs, celle de l’adaptation d’un modèle de grandes exploitations extensives en main d’œuvre et intensives en capital aux besoins de la Chine, par rapport à un développement reposant sur des exploitations de taille plus modeste, moins intensives en capital mais davantage en main d’œuvre, tel qu’il s’était mis en place dans d’autres économies émergentes d’Asie ?
Le développement des campagnes reste une question récurrente en Chine. Le 3ème plénum du Comité central vient d’énoncer des orientations à ce sujet, sans toutefois fixer, à ce stade, de mesures précises.
Le développement chinois s’est peu appuyé sur la paysannerie et les zones rurales. Le secteur agricole a eu un rôle secondaire dans la croissance chinoise, de manière paradoxale pour un régime qui, depuis et avant 1949, avait mis la paysannerie au cœur de la dynamique sociale. La volonté affichée d’y accorder plus d’attention (la politique des trois « nong » – l’agriculture, le monde rural et les paysans – en 2004 ; appel à bâtir la « nouvelle ruralité socialiste » pour réduire les écarts entre villes et campagnes, en 2006) n’a que peu changé cette absence de priorités. La condition des populations s’est moins améliorée en zone rurale qu’en ville. La croissance chinoise a été, en premier lieu, urbaine et industrielle. Ainsi, l’écart de revenus annuels entre les villes et les campagnes est, en 2008, de 1 à 4 (355 USD vs. 1 138 USD). Le revenu moyen par Chinois a certes été multiplié par plus de 8 entre 1980 et 2007 ; mais cet enrichissement a d’abord bénéficié aux urbains – le revenu moyen par agriculteur n’a été multiplié « que » par 3 sur la même période – et procédé d’une croissance du secteur secondaire : le PIB de ce secteur est passé de 4 556 Md RMB en 2000 à 12 138 Md CNY (+ 171 %) en 2007, pour une population urbaine qui s’accroissait de 459 à 594 millions ; sur la même période, le PIB du secteur primaire passait de 1 494 Md RMB à 2 810 Md RMB (+ 88 %, 11,4 % du PIB), pour une population rurale qui passait de 808 à 727 millions, dont 300 millions d’actifs agricoles. Or, l’agriculture connaît un plafonnement de sa production. La Chine est confrontée au défi de nourrir 22 % de la population mondiale avec seulement 10 % des superficies cultivables (120 M. ha, soit 13 % de la superficie du pays). Si la production a augmenté de 90 % de 1990 à 2003 (données FAO), elle tend à plafonner depuis, alors même que la demande interne augmente, accroissant le besoin d’importations.
La production de « grains » (céréales, soja et tubéreux, comptés pour 1/5ème de leur poids) a ainsi régressé par rapport à son pic de 1997. La rareté des terres contribue à ce plafonnement, avec la pénurie en eau, un niveau technique et un équipement insuffisant, ainsi que l’inorganisation des de l’industrie agroalimentaire et des marchés agricoles. Cette surface diminuerait d’environ 2 500 km2 par an, du fait de l’urbanisation et de la dégradation des sols. Les meilleures terres, dans les vallées alluviales autour des agglomérations, sont d’ailleurs, souvent, les plus concernées.
La contribution des zones rurales au développement de la Chine s’est d’abord traduite par la fourniture de facteurs de production : terres et main d’œuvre. Outre la conversion des terres agricoles pour d’autres usages, les campagnes ont fourni les travailleurs non-qualifiés dont le développement industriel avait besoin, par un exode rural estimé à 10 - 15 millions de personnes par an. La productivité de l’agriculture reste insuffisante, malgré cela : de 100 à 170 millions de ruraux sont estimés être sous-employés, ou employés à temps partiel à des tâches non-agricoles.
Pourtant, les révolutions industrielles ont souvent commencé par et se sont appuyées sur une révolution agricole
En Europe, la révolution agricole, commencée dès le 18ème siècle, a conduit à l’émergence d’un capitalisme rural, antérieur au capitalisme industriel. Ce développement aura comme conséquence d’accroître les rendements agricoles, permettant ainsi de dégager de la main d’œuvre pour le développement industriel et de permettre l’émergence d’un capitalisme rural, qui contribuera à ce même développement.
Le « miracle » économique des dragons asiatiques a également commencé par un développement de l’agriculture, qui a créé un marché intérieur pour l’industrie. De nature différente de celle conduite en Europe, la révolution agraire au Japon, en Corée et à Taïwan a reposé sur une distribution de terres à des petits propriétaires. Elle a permis de créer un marché intérieur pour les biens d’équipement agricoles et les biens de consommation. Cette demande soutiendra l’essor industriel de ces économies. A la différence du modèle européen, ces réformes ont donc : • reposé sur des exploitations de taille moyenne et des techniques intensives en main d’œuvre ; • favoriser l’enrichissement de propriétaires ruraux, soutien d’une demande intérieure ; • stabiliser les populations rurales, tout en maintenant un réservoir de main d’œuvre.
Le droit et les réformes foncières sont un élément majeur de ces politiques agricoles
La réforme de la tenure foncière a été au cœur des développements agricoles : le modèle anglais a ainsi consisté, via les enclosures, en l’appropriation privative de parcours auparavant détenus en communauté. A l’inverse, les réformes foncières en Asie ont visé une redistribution à des exploitations de taille moyenne du foncier détenu par l’Etat ou de grands propriétaires.
Que ce soit au bénéfice des landlords anglais ou à celui des petites exploitations asiatiques, ces réformes ont visé à préciser et à sécuriser les droits fonciers du futur exploitant, sous un régime plus privé ; celui-ci consistait en un droit d’user le foncier, d’en disposer (de le vendre ou de le louer) ou de l’hypothéquer. Ce régime avait alors plusieurs conséquences : • il permettait l’investissement de l’exploitant, en temps et en capital, sur un foncier dont il savait qu’il ne pouvait plus lui être repris ; • il rendait cet exploitant détenteur d’un capital, qu’il pouvait mettre en gage pour la souscription d’emprunts. Ces emprunts – sous réserve du développement d’un système de crédit rural, une mesure d’accompagnement essentielle de ce type de programme – permettaient l’investissement en capital ou l’achat d’intrants, vecteurs de productivité. A l’inverse, les droits fonciers des paysans restent mal affirmés en Chine. La politique de réforme, lancée en 1978, a certes vu le retour à l’exploitation familiale et l’autorisation d’une attribution des terres aux paysans – qui n’est pas sans lien avec la croissance de la production agricole dans les années qui ont suivi – mais ce régime reste insuffisamment sécurisé. Le régime des baux emphytéotiques, fixé à 15 ans en 1978 et allongé à 30 en 2003, a certes conféré aux paysans bailleurs et exploitants le droit de transfert en faveur d’un tiers (zhuanbao), de location (chuzu), d’échange de parcelles (huhuan), de cession (zhuanrang) ou de mise à disposition, par exemple au sein d’une coopérative, mais aussi par hypothèque.
Ce régime foncier s’est toutefois révélé insuffisamment protecteur pour éviter l’expropriation, cause majeure d’instabilité en zone rurale. Il n’a pas non plus permis de stimuler significativement l’investissement, soit extensif par concentration de terres, soit intensif sur l’exploitation. La collectivité reste formellement propriétaire, les baux alloués sont limités à 30 ans – ils sont de 70 ans pour la propriété immobilière – et les possibilités d’expropriation sont nombreuses. Près de 6,7 M. ha agricoles auraient ainsi été convertis à un autre usage entre 1978 et 2003, en contrepartie d’un taux d’indemnisation de 10 % seulement de leur valeur. Or, ces expropriations constituent une préoccupation majeure des autorités centrales, du fait de l’instabilité sociale qu’elles entraînent. Elles se poursuivent, malgré les avertissements des autorités à l’encontre des responsables.
Le droit d’usage des paysans sur leurs terres a été renforcé, mais reste limité
La présente réforme, annoncée au 3ème plenum, ne modifie néanmoins pas la règlementation. Elle réitère la volonté de pérennisation des baux emphytéotiques – soit une prorogation jusqu’en 2023 – et annonce un renforcement de l’application du régime en vigueur et du formalisme des contrats, dans une intention plus protectrice.
Au-delà, elle n’entraîne aucun changement du régime foncier, notamment pas une sécurisation accrue des droits en faveur des paysans. Plusieurs raisons expliquent cette retenue : • Sur le plan théorique, la place de la propriété privée en Chine continue à faire l’objet de débats entre les tenants d’une ligne orthodoxe et les pro-libéralisations, à l’instar de ce qui avait été constaté pour la propriété immobilière ; • la crainte que la privatisation des terres entraîne une aggravation des inégalités dans les campagnes et une dégradation de la stabilité sociale est un souci constant ; • d’autres intérêts peuvent enfin jouer : le fait que les collectivités locales tirent de 8 % et 10 % de leurs ressources budgétaires des ventes de surfaces constructibles ne les incite pas à remettre en cause la propriété collective des terres, dont elles sont les premières bénéficiaires.
Pourtant, la possibilité de disposer de son foncier confèrerait un capital aux paysans, à même d’être cédé, acquis ou mis en hypothèque. Les principaux revenus acquis hors de l’exploitation se limitent essentiellement aux transferts de la part des migrants urbains. Le renforcement de la possibilité d’hypothéquer le foncier faciliterait ainsi l’accès au crédit. Cette possibilité fait toutefois l’objet d’une méfiance de la part des autorités : elles ont démenti toute velléité de développer un marché hypothécaire des terres agricoles. Selon des spécialistes d’économie rurale, une saisie par la banque de terres hypothéquées se heurterait pourtant à un obstacle culturel et serait inapplicable.
La concentration foncière « à un niveau convenable » est l’un des objectifs annoncés pour moderniser l’agriculture. Elle est encadrée (limitée aux régions où elle serait pertinente, mise en œuvre sur une base volontaire) et ses modalités ne sont pas précisées. Elle pose au moins deux questions : • celle de sa mise en œuvre et de son contrôle, alors que les expropriations n’ont, elles-mêmes, pas été résolues ; • la définition de ce qu’est un niveau « convenable » : celui-ci évolue avec le temps – les économies d’échelle pour une production de plus en plus mécanisée et soumise à la concurrence internationale tendent à accroître ce niveau ; plus fondamentalement, un niveau convenable ne peut être fixé qu’en fonction du modèle retenu (exploitations petites ou extensives).
Le modèle de développement agricole retenu reste incertain : l’agrandissement des exploitations, qui semble envisagé, n’est ainsi pas sans inconvénients. D’une part, ses effets sur la production ne peuvent être préjugés si les goulots d’étranglement de la production agricole (gestion de l’eau, maîtrise technique, etc.) ne sont pas résolus. Ce « modèle anglais » pourrait, surtout, se traduire par une hausse de l’exode rural – que le ralentissement de la croissance n’encourage pas – et l’appauvrissement des couches les plus fragiles du monde rural.
Le « modèle asiatique » pourrait constituer une option plus pertinente, répondant à la fois aux orientations économiques et sociales de la Chine, d’une société plus harmonieuse : • l’intensification des besoins en main d’œuvre permettrait de mieux employer celle-ci ; or, ce facteur de production reste celui dont la Chine est la mieux dotée ; • cet enrichissement des zones rurales (agriculture et, par la suite, industries agroalimentaires) permettrait une demande en zone rurale, à même de soutenir la croissance économique ; • cette intensification servirait les productions à plus forte valeur ajoutée, moins exposées à la concurrence internationale ; celles-ci ont d’ailleurs fortement cru depuis l’entrée dans l’OMC : la production de légumes (540 M. t. en 2004) et de fruits (172 M. t.) s’est accrue ; la production laitière a triplé, de 11 M. t. en 2001 à 33. M. t. en 2006.
Une réforme de la tenure foncière constitue une nécessité pour ce développement, mais n’y suffit toutefois pas : cette réforme doit être accompagnée d’autres politiques, de crédit en premier lieu. Il est, à ce titre, intéressant de constater que le 3ème plénum a inclus ce volet de crédit dans ses orientations. Les succursales rurales des banques sont ainsi invitées à utiliser l’épargne pour des prêts locaux. En outre, un cadre légal devrait être mis en place pour favoriser le microcrédit, via notamment des structures coopératives. Pas plus qu’en matière foncière, les modalités de ces programmes n’ont toutefois été fixées.
La place et le rôle de l’agriculture et des paysans dans le développement chinois restent donc posés. Les autorités, conscientes de ces enjeux, devront, d’une part, préciser les programmes annoncés, d’autre part, opter pour un modèle de développement économique.
François BLANC
Conseiller économique
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