Figaro 20 maggio 2010
«Ils nous ont pris nos terres ; ils ont amené l'eau de l'océan en creusant des canaux pour que leurs bateaux rejoignent leurs plates-formes dans les marais ; maintenant ils nous envoient une marée noire»… L'accent traînant de Kirk Cherame, Indien de la tribu Houma, renforce le poids de sa complainte contre ces compagnies pétrolières, arrivées au début des années 1930 dans ce bayou au sud de la Louisiane, qu'elles ont peu à peu annexé. Jeudi, c'est devenu officiel : le pétrole, issu du puits sous la plate-forme BP Deepwater Horizon détruite le 20 avril dernier, a commencé à pénétrer les canaux et marécages. «Ce brut que tout le monde redoutait est maintenant ici ! », s'est exclamé Bobby Jindal, le gouverneur de la Louisiane, lors d'un tour d'inspection en bateau.
Entre eau, herbes et boues, le désastre écologique est en marche, dans cette gigantesque zone de reproduction du plus giboyeux et poissonneux État américain. Une fois le plancton et les micro-organismes détruits, c'est toute la chaîne alimentaire - huîtres, crevettes, poissons, oiseaux - qui sera touchée. Jusqu'aux hommes qui vivent de la pêche.
Structurée socialement autour de cette activité, la tribu indienne Houma, qui revendique 17000 âmes dans le sud de la Louisiane, pourrait ainsi se déliter. Le bayou appartiendrait alors entièrement aux maîtres de l'or noir.
Pour les pêcheurs, le combat était par trop inégal. Entre Port Fouchon, où sont arrivées les premières boulettes de mazout il y a deux semaines, et Houma, cette ville qui tire son nom de la tribu éponyme, la plupart des familles, même celles où l'homme part sur son bateau, ont un salaire versé par l'industrie pétrolière. Les routes, les bâtiments, les écoles, tout a été peu ou prou financé par l'or noir, bien que la Louisiane demeure le plus gros producteur de poissons et de fruits de mer des États-Unis.
«La chevrette va crever»
Le bayou, l'une des premières réserves écologiques de l'Amérique, est quadrillé par les plates-formes pétrolières et un important réseau de pipelines. À Port Fouchon, le responsable de l'État de Louisiane chargé d'encadrer tout journaliste désireux de constater l'avancée de la marée noire sur la plage, n'en fait pas mystère : «18 % des besoins en pétrole des États-Unis passent par Port Fouchon. Rien ne doit arrêter le trafic ici, car cela aurait des conséquences sur le pays tout en entier.» Tournant le dos, comme pour le protéger, à un vaste complexe pétrolifère, cet officiel entend signifier que le va-et-vient des bateaux entre les plates-formes en mer et Port Fouchon ne sera pas retardé par des opérations de décontamination.
Aujourd'hui du côté des pêcheurs, Kirk Cherame, a, lui aussi, longtemps travaillé pour le camp ennemi. «Mais je n'y retournerai pas, promet-il. Ce qui me fait le plus du mal, c'est d'imaginer que je vais peut-être devoir quitter cette terre, remonter vers le nord. Ma fille déjà ne reviendra pas : à quoi bon, si on ne peut plus pêcher, plus se baigner dans l'océan !»
Kirk Cherame vivrait cet exil forcé comme une nouvelle épreuve imposée à son peuple. Repoussés par la jeune nation américaine tout en bas de la Louisiane, les Houmas s'étaient installés dans ce bayou infecté de moustiques et de caïmans. Alliés des Français dont ils parlent encore la langue, ce surprenant cajun, ils ont été ensuite floués par les anglophones attirés par la découverte de pétrole dans le sud de la Louisiane.
Maintenant la marée noire met peu à peu au chômage tous les pêcheurs. Sans lien évident de parenté avec Kirk, Roy Cherame a accepté les conditions de BP, déposé ses filets, et n'attend plus qu'un coup de téléphone de la compagnie pétrolière pour s'enrôler à son service. Le cachet de 2000 dollars par prestation l'a appâté. Mais, alors qu'il doit laisser son bateau à quai, le téléphone n'a toujours pas sonné depuis deux semaines. Roy parle en cajun de la «chevrette » (la crevette), qui vit au fond des marais. «Si l'huile entre en dedans, la chevrette, le crabe, le poisson, tout va crever, et nous aussi on va crever.» Comme pourrait également sombrer dans la marée noire, ce français aux tournures du XVIIe siècle dont le phrasé s'apparente au québécois, encore parlé ici par certains Indiens et Cajuns, ces descendants de la Louisiane conquise par Louis XIV.
lunedì 24 maggio 2010
Iscriviti a:
Commenti sul post (Atom)
Nessun commento:
Posta un commento